vendredi 30 décembre 2016

dans la corbeille (15)

J'ai décidément bien fait de le mettre à la corbeille, ce projet de roman ; il est bien trop « 2016 » dans ce qu'il dit ; jugez plutôt :


En fait le dernier jour de la vie est un jour comme les autres.
A un moment j’ai cru voir arriver un autre moi-même, mais non : c’était Jacky Vadelle, le fils de Carlotta née Vasconcelos et d’un autre moi-même, qui nous ressemble de plus en plus depuis qu’il est vieux lui aussi. Mais il est quand même plus mince.
Les gestionnaires de ce monde ont annoncé à mon fils Orlando la mort d’Angus Vadelle.
Mais ce n’était pas moi. Enfin, c’était moi, bien sûr, mais ce n’était pas moi premier du nom. Impossible de savoir de quel moi-même il s’agissait, l’enquête serait longue et fastidieuse et risquait fort de ne pas aboutir.
Ce qui était quand même très étrange, c’est que je sois mort avant moi. Il me semblait, en toute logique, que je serais le premier de moi-même à mourir. C’est ce que j’avais prévu. Mais il semblerait bien que l’éloignement favorise la mort précoce – à quelques heures près, entendons-nous bien. Or personne n’est plus proche de moi-même que le moi-même que je suis au moment où je parle. C’est sans doute à cela, être moi-même sans être un autre, que je devais d’être encore en vie.
Les gestionnaires de ce monde ont annoncé à mon fils Orlando la mort d’Angus Vadelle.

Une nouvelle fois, plus vite que le temps pour le dire. C’était un autre moi-même encore, bien sûr. Nous allions tous mourir peu ou prou en même temps, tous mes moi-même et moi ; c’était couru d’avance.

mercredi 28 décembre 2016

Magie de Noël

Bon alors Noël, je vous raconte les cadeaux. Comme je prends toujours un peu de temps pour ouvrir les paquets, ça a commencé le 23 décembre avec un très beau billet à propos de Liquide sur le blog Emplumeor, cliquez donc ; ça a continué le 24 décembre avec cet excellent article de Frédéric Lacoste dans le Courrier de Gironde, cette fois à propos de Mémoires des failles, cliquez aussi pour agrandir ;
et enfin le 25, un émouvant petit billet à propos de Pas Liev, sur le blog Touchez mon blog monseigneur, on ne va pas se gêner pour cliquer.
Tout cela étant bien encourageant, Elise et Lise ont décidé de pointer leur joli nez pour la traditionnelle séance de dédicaces des services de presse pendant que Quidam me racontait des blagues.

mardi 27 décembre 2016

dernier éden - mon vieil hublot photographique (3)

Le vivant s'est affirmé comme sujet premier.
Là, c'était le 26 octobre 2009, entre 11h30 et midi, au fond du jardin.








samedi 24 décembre 2016

Un petit poème d'amor, pour Noël.

Je veux ta peau.
Tu veux ma peau.
Il ou elle veut sa peau.
Nous voulons votre peau.
Vous voulez notre peau.
Ils veulent leur peau.


jeudi 22 décembre 2016

noms de couleurs

« Bleu » c'est bien. On sait ce que ça veut dire. Ça ne chipote pas. C'est clair – que ce soit clair, précisément, presque blanc, ou au contraire foncé, presque noir, si c'est bleu c'est bleu. Tout va bien.
« Vert » aussi, d'ailleurs. Très pâle ou très foncé, « vert » reste « vert ».
Mais « rouge », non. « Rouge » très foncé, presque noir, on va avoir du mal à dire que c'est « rouge ». Quand à « rouge » clair, n'en parlons pas ; c'est à peine clair que c'est « rose ». Comme si « rose » n'était pas « rouge ». Pourtant « bleu ciel » est bien « bleu » ; pourquoi donc un « rose » qui serait à « rouge » ce que « bleu ciel » est à « bleu » ne serait-il pas bleu ? Hein ? Pourquoi ? Je vous le demande.
Et « jaune », dans tout ça ? Eh bien « jaune », il n'a droit qu'à une moitié. Jaune très pâle, presque blanc, oui, ça peut encore passer pour du « jaune ». Mais jaune très foncé, presque noir ? Arrivez-vous seulement à voir à quoi ça ressemble, « jaune très foncé presque noir » ? Et pourquoi ça n'existerait pas ? Hein ? Pourquoi ? Je vous le demande.


Ce billet ne parle pas des couleurs. Les couleurs, ce n'est pas le sujet. Il parle du langage.


mercredi 21 décembre 2016

dans la corbeille (15)

Cette corbeille est décidément inépuisable :

 J’ai pleuré parce que j’étais triste à cause de la mort d’Anouchka, et puis je me suis soigné à l’aide de mon appareil à régler les problèmes. Il a fallu que je m’y reprenne à deux fois parce que mon cœur brisé ne voulait pas se recoller.
Quand j’ai été consolé je me suis aperçu qu’il y avait encore une chose qui n’allait pas. Et puis je me suis rendu compte que j’avais peur du noir, comme quand j’étais enfant, à l’époque où j’étais lâche. Alors je suis rentré à la maison.

lundi 19 décembre 2016

mon vieil hublot photographique

Au printemps 2009, je me suis acheté un petit appareil photo numérique. Il me faut toujours un peu de temps. Alors sur mes anciens Hublots, je me suis mis de temps en temps à poster des photos, quand je n'avais rien à dire - ce qui est tout le temps le cas, même quand je fais semblant de ne pas le savoir. Je vais les remettre sur ces Hublots-ci, ça va les ranimer un peu.
J'ai commencé, le 6 mai 2009, par poster ceci :


Puis j'ai posté celle-ci :

Je me souviens que ces deux photos ont été prises à, disons, 300 mètres l'une de l'autre. Guère plus.

mercredi 14 décembre 2016

un fumier ambulant prometteur de cannes tendres

Non, nous n’avons jamais été amazones du roi du Dahomey, ni princes de Ghana avec huit cent chameaux ni docteurs à Tombouctou Askia le Grand étant roi, ni architectes de Djenné, ni Mahdis, ni guerriers. Nous ne sentons pas sous l’aisselle la démangeaison de ceux qui tinrent jadis la lance. Et puisque j’ai juré de ne rien celer de notre histoire (moi qui n’admire rien tant que le mouton broutant son ombre d’après-midi), je veux avouer que nous fûmes de tout temps d’assez piètres laveurs de vaisselle, des cireurs de chaussures sans envergure, mettons les choses au mieux, d’assez consciencieux sorciers et le seul indiscutable record que nous ayons battu est celui d’endurance à la chicotte...
Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la nègrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.


Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal.

vendredi 9 décembre 2016

dans la corbeille (14)

C'est dans la corbeille encore. Ça parle de la mort, tiens.


 Je suis sorti dans le jardin, et là j’ai eu la surprise d’assister à la fin de la mort de Maureen, qui en fait était quand même venue à ma fête et était morte de justesse dans le jardin. Ma femme Joanna s’était évanouie une fois de plus. Du coup j’ai foncé dans le jacuzzi et j’y ai invité la mort, qui était encore là. La mort est venue me rejoindre dans le jacuzzi mais elle ne s’est pas mise en maillot de bain. C’était un peu décevant.
La plupart des invités ont discrètement pris congé, seul est resté mon fils Orlando qui était venu à l’improviste. Joanna qui venait juste de revenir à elle est tombée à nouveau dans les pommes en voyant Orlando discuter avec la mort.
Il a fallu que je me soigne avec mon appareil car la mort de Maureen m’avait quand même fichu un coup.

Le lendemain, comme je ne savais pas quoi faire, je suis allé au gymnase juste à côté de l’école, c’est tout près de chez nous. Tout le monde était bleu. Je me suis dit que je pouvais mourir, à présent. J’ai décidé que la prochaine fois que je mourrais, je resterais mort. J’ai pris cette décision en connaissance de cause : je sais très bien que la mort finit toujours par être irréversible. Il y a un moment où il faut bien que les choses s’arrêtent.

mercredi 7 décembre 2016

copains comme cochons

Entre cochons et hommes il n'y a pas, et il n'y a pas de raisons qu'il y ait, un conflit d'intérêt quelconque. Les luttes et les vicissitudes sont identiques.


George Orwell, La Ferme des Animaux

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mardi 6 décembre 2016

lettre fatale

Coco et Coco se balançaient au bord de l’eau. Soudain Coco chut. Comme, piètre nageur, il était sur le point de se noyer, de sa branche Coco perché tendit la main à Coco dans l’eau, qui aspirant une ultime bouffée d’r maladroitement entraîna son copain dans l’eau – et c’est ainsi que Croco croqua Coco.

vendredi 2 décembre 2016

dans la corbeille (13)

Bien sûr pour le moment tout cela est encore dans la corbeille mais il y a peut-être moyen de faire un bon feu avec pour se réchauffer le cœur.


 J’ai fait la connaissance d’une certaine Joanna Vadelle, avec qui semblait-il je n’avais pas de lien de parenté. Et c’est pendant que nous discutions qu’Anouchka est morte. La mort avait beau être ma meilleure amie, je n’ai rien pu y faire. J’ai essayé de la distraire en la soignant avec mon appareil à régler les problèmes, car il n’y a pas de raisons pour que la mort n’ait pas de problèmes ; j’espérais qu’elle viendrait me remercier et oublierait Anouchka. Mais ça n’a pas marché, alors j’ai essayé de me prendre en photo avec la mort et là j’ai vu qu’elle était d’accord ; mais c’est parce que c’était trop tard : Anouchka Vadelle, dont je me rends compte à présent que je n’ai jamais retenu le nom de jeune fille, était morte, et moi j’étais veuf en personne.


Anouchka Vadelle : page 57 - page 128



C’était peu dire cette fois que la mort se rapprochait : nous avons marché l’un derrière l’autre dans le beau jardin des Vadelle anciennement Smith et nous sommes montés au grenier au-dessus du garage. Il y a là-haut un petit balcon avec une vue magnifique car la grande demeure des Vadelle anciennement Smith est sur une hauteur qui domine tout Bellerive. Nous sommes allés sur le balcon et là j’ai pris la mort par l’épaule et de l’autre main j’ai sorti mon smartphone, et c’est comme ça j’ai fait mon selfie avec la mort. Ensuite nous avons discuté un peu. J’espérais lui demander d’emménager, car elle avait sans doute beaucoup de choses à m’apprendre ; mais je n’ai pas trouvé les mots : à la place je lui ai juste demandé ce qu’on racontait sur moi. La mort m’a répondu que ça ne lui faisait pas plaisir de me dire ça mais que j’avais une réputation d’ordure. Mais elle m’aimait bien quand même. C’est vrai aussi qu’elle n’avait pas le choix : c’est moi qui depuis longtemps décide grâce à mon smartphone des sentiments d’autrui à mon égard, et il n’y a pas de raison que la mort échappe à cette règle. J’avais encore bien d’autres questions à lui poser mais elle a soudain disparu dans le noir, car dans l’intervalle la nuit était tombée. Nous aurions bien sûr l’occasion de nous revoir, mais à ce moment-là je craignais bien de ne plus avoir la parole.

lundi 28 novembre 2016

une nouvelle couverture

Voici les premiers froids. C'est le moment de s'offrir une nouvelle couverture. (Mais il faudra attendre le 16 février.)

dimanche 27 novembre 2016

parfum des urnes

Est-ce parce que le i est par sa forme la lettre la plus facile à glisser dans l’urne que l’odeur est si nauséabonde ?


mercredi 23 novembre 2016

je les regardai partir...

Mon Dieu, quel cri ! comme elle sursauta ! comme elle s'arracha de mes bras, comme elle vola à sa rencontre !... Je restai là, je les regardais, plus mort que vif. Pourtant, à peine lui avait-elle donné la main, à peine s'était-elle jetée dans son étreinte, que, brusquement, une fois encore, elle se tournait vers moi, se retrouvait près de moi, comme une bourrasque, comme un éclair, et, avant même que j'eusse le temps de me remettre, elle s'accrochait à mon cou et me donnait un baiser passionné. Puis, sans me dire un mot, elle courut de nouveau vers lui, le prit par les mains, et l'entraîna avec elle.
Je restai longuement figé, je les regardai partir... Enfin, ils disparurent de ma vue.


Fédor Dostoïevski, Les Nuits blanches, traduction par André Markowicz.

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lundi 21 novembre 2016

pour un vote contre ?

Bon, plus sérieusement, que nous apprennent-ils, les résultats de ces primaires ? Que les gens se déplacent pour voter contre. Le vote contre, ça motive. Et pourquoi pas ? Pourquoi n'aurait-on pas la possibilité d'éliminer les candidats dont on ne veut surtout pas ? Sarkozy en a fait les frais, comme bientôt Hollande s'il se présente. C'est pour ça qu'on va se retrouver avec Le Pen au second tour. Le Pen, la candidate qui ferait se déplacer le plus grand nombre d'électeurs Français pour voter contre elle. Mais là, ce ne sera pas possible, pas avant le premier tour, il faudra même attendre le second. Ce système vous paraît-il vraiment démocratique ? Hein ? Vous en dites quoi ?

samedi 19 novembre 2016

Coup de théâtre au Parti Socialiste

Coup de théâtre au Parti Socialiste : soucieux de se démarquer des Républicains et dans l'idée de donner à la gauche une chance de remporter les prochaines élections, les membres du PS décident d'un commun accord de ne présenter aucun candidat. A droite, on tremble.

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mercredi 16 novembre 2016

Je vous aurais bien recopié un petit passage de Récit d'un avocat

Je vous aurais bien recopié un petit passage de Récit d'un avocat d'Antoine Brea parce que j'ai la flemme d'écrire moi-même quelque chose. En plus c'est composé de petits chapitres très courts, ça devrait être facile d'en extraire un. Mais en fait non, ça ne va pas trop, ils ne se laissent pas bien extraire, ces petits chapitres ; ce n'est pas comme ça que je vous donnerai envie – puisque tel est le but. L'écriture d'ailleurs n'est pas celle de Brea tel que je l'ai lu ailleurs, par exemple dans Roman dormant, dans Petites vies d'écrivains du XXe siècle ou dans Simon le Mage. Quoique tiens, paradoxalement, c'est peut-être les vers de Simon le Mage qui fassent le plus écho, du moins dans mon oreille, à ce Récit d'un avocat. Je dis « paradoxalement », parce que Brea, dans l'idée très vague que je me fais de la poésie, c'est plutôt un poète ; alors que dans Récit d'un avocat, dans l'idée très vague que je me fais de la littérature, on est clairement dans la prose, ou dans le roman, voire dans le thriller, judiciaire, et même politique ; sauf que tiens, il paraît qu'il est avocat Brea, dans la vraie vie, c'est écrit en quatrième de couverture, et que « peu de choses » (ça y est, là, je recopie) « sont entièrement imaginaires ». Du coup ça fait un peur, finalement. En tout cas ça mériterait bien que j'écrive un petit billet dessus, si j'avais le courage.
Et au fait quand même c'est paru tout récemment aux éditions Le Quartanier.
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lundi 14 novembre 2016

dans la corbeille (12)

Allons donc encore une fois fouiller un peu la corbeille pour voir ce qu'elle nous dit de la mort.


 Les gestionnaires de ce monde ont annoncé à mon fils Orlando la mort d’Angus Vadelle.
Mais ce n’était pas moi. Enfin, c’était moi, bien sûr, mais ce n’était pas moi premier du nom. Impossible de savoir de quel moi-même il s’agissait, l’enquête serait longue et fastidieuse et risquait fort de ne pas aboutir.
Ce qui était quand même très étrange, c’est que je sois mort avant moi. Il me semblait, en toute logique, que je serais le premier de moi-même à mourir. C’est ce que j’avais prévu. Mais il semblerait bien que l’éloignement favorise la mort précoce – à quelques heures près, entendons-nous bien. Or personne n’est plus proche de moi-même que le moi-même que je suis au moment où je parle. C’est sans doute à cela, être moi-même sans être un autre, que je devais d’être encore en vie.
Les gestionnaires de ce monde ont annoncé à mon fils Orlando la mort d’Angus Vadelle.

Une nouvelle fois, plus vite que le temps pour le dire. C’était un autre moi-même encore, bien sûr. Nous allions tous mourir peu ou prou en même temps, tous mes moi-même et moi ; c’était couru d’avance.

jeudi 10 novembre 2016

Dimanche nous serons le 13 novembre.

Dimanche nous serons le 13 novembre et je serai rue du 11 novembre au Salon des Essarts-le-Roi, c'est facile à trouver vous ne pourrez pas vous tromper.
Dimanche nous serons le 13 novembre et je serai au Salon des Essarts-le-Roi qui a été annulé l'année dernière.
Dimanche nous serons le 13 novembre.
Dimanche nous serons le 13 novembre et égoïstement une partie de moi-même sera heureuse. Une partie de moi-même sera heureuse comme l'année dernière à la même date égoïstement une partie de moi-même ne l'était pas. « Egoïstement » parce que quand il y a des morts à votre porte c'est con mais ça touche plus que quand ils sont loin. « Egoïstement » parce que quand il y a une personne qui vous touche de près parmi les victimes c'est con mais vous vous sentez comme si tout était dévasté.

Mais « égoïstement » dimanche une partie de moi-même sera heureuse parce que le jeune homme cher à mon cœur qui était étendu là s'est relevé on se demande bien comment et dans quel état je vous passe les détails, et on se demande bien comment a sauvé sa vie et sans le savoir celle de toutes les personnes qui l'aiment. Et donc grâce à lui et « égoïstement » dimanche 13 novembre une partie de moi-même pourra se réjouir en se rappelant qu'il y a juste un an, le 13 novembre 2015, paraissait dans le journal le Monde un très bel article à propos de Pas Liev, qui plus est signé par l'un des écrivains contemporains que je tiens en plus haute estime ; et de pouvoir partager ce plaisir je remercie encore tous les vivants.

mercredi 9 novembre 2016

suggérer une modification

J'étais prêt à faire un procès à Google avant de me rendre compte qu'ils avaient pris la précaution de suggérer une modification.

mardi 8 novembre 2016

comment dire

D'une manière générale, quand j'exprime une idée devant mes proches, ils ne la comprennent pas et me répondent à côté, ce qui donne lieu à des quiproquos douloureux dont je n'arrive pas à me dégager. Le modèle de mes interactions sociales pourrait être fourni par l'une de mes catastrophes aériennes préférées, celle qui est survenue aux Canaries le vingt-sept mars mille neuf cent soixante-dix-sept. Ce jour-là, en raison d'une menace d'attentat indépendantiste à l'aérogare de Las Palmas, plusieurs avions ont été déroutés vers l'aéroport de Los Rodeos à Tenerife. Il s'agit d'un petit aéroport disposant uniquement d'une piste doublée d'un taxiway, entre parenthèses un mot que j'aimerais pouvoir poser un jour au scrabble. Il a donc fallu garer sur la partie proximale du taxiway plusieurs camions-citernes, ainsi que cinq appareils. Ce jour-là, deux Boeing 747 devaient décoller rapidement : l'un de la KLM en provenance d'Amsterdam, l'autre de la Pan Am arrivé de Los Angeles. Contrairement à tous les usages, mais faute d'alternative, les deux avions sont donc partis vers le point de décollage en empruntant la piste, le KLM devant, le Pan Am derrière. Afin de laisser le champ libre à son prédécesseur, le suiveur devait rejoindre le taxiway dès qu'il aurait dépassé la zone encombrée par les autres avions, en empruntant la bretelle numéro trois. Mais un épais brouillard stagnait sur l'île, et le pilote de la Pan Am, n'ayant sans doute pas vu l'embranchement indiqué par la tour de contrôle, a continué à rouler sur la piste jusqu'à la bretelle suivante. Pendant ce temps-là, après avoir accompli son virage à cent quatre-vingts degrés en bout de piste, le pilote de la KLM a dit « We are now at take-off » pour dire qu'il était prêt à décoller. L'aiguilleur a logiquement et littéralement compris « Nous sommes maintenant au point de décollage », et a répondu « Yes » pour signifier qu'il avait enregistré l'information. Mais, interprétant cette réponse comme un feu vert, le commandant de la KLM a mis les gaz. En raison du brouillard, il n'a vu qu'au dernier moment l'avion de la Pan Am qui s'engageait dans la bretelle numéro quatre et lui barrait le passage. Il a essayé de précipiter son envol pour passer au-dessus, mais n'a pu éviter l'empennage de l'autre. Le bilan définitif compte cinq cent quatre-vingt-trois morts, ce qui donne à cette catastrophe le record de létalité de l'aviation civile. Pour arriver à ce résultat exceptionnel, il aura suffi de six mots du vocabulaire de base de l'anglais aéronautique, échangés entre deux personnes rompues à ce langage. Et même de trois mots, puisque « we are now », nous sommes maintenant, a été en l'occurrence parfaitement compris. Restent « at take-off » et « yes », qui font partie des mots les plus simples du lexique de ces professionnels. Preuve que même dans les dialogues les plus ordinaires, chacun n'entend que ce qu'il veut entendre et entretient ainsi l'illusion d'une convergence de vues ou d'un désaccord avec un interlocuteur qui, dans la plupart des cas, ne parle pas de la même chose.


Emmanuel Venet, Marcher droit, tourner en rond, éditions Verdier, 2016, p. 33 à 35

huit ans de Hublots


samedi 5 novembre 2016

se reserver a l’advenir a meilleure fortune

Pour ce coup je ne voudrois sinon entendre comm’il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelque fois un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’ils luy donnent ; qui n’a pouvoir de leur nuire, sinon tant qu’ils ont vouloir de l'endurer ; qui ne scauroit leur faire mal aucun, sinon lors qu’ils aiment mieulx le souffrir que lui contredire. Grand chose certes et toutesfois si commune qu’il s'en faut de tant plus douloir et moins s'esbahir, voir un milion d’hommes servir miserablement aiant le col sous le joug non pas contrains par une plus grande force, mais aucunement (ce semble) enchantés et charmes par le nom seul d’un, duquel ils ne doivent ni craindre la puissance puis qu’il est seul, ny aimer les qualités, puis qu’il est en leur endroit inhumain et sauvage. La foiblesse d’entre nous hommes est telle, quil faut souvent que nous obeissions a la force ; il est besoin de temporiser, nous ne pouvons pas tousjours estre les plus forts. Doncques si une nation est contrainte par la force de la guerre de servir a un, comme la cité d’Athenes aus trente tirans, il ne se faut pas esbahir qu’elle serve, mais se plaindre de l’accident ; ou bien plustost ne s'esbair ni ne s'en plaindre mais porter le mal patiemment, et se reserver a l’advenir a meilleure fortune. 

Etienne de La Boétie, Le discours de la servitude volontaire

jeudi 3 novembre 2016

Prix

Prix du livre :
S’étonner qu’il y ait une loi dessus, quelle drôle d’idée.
Ne pas confondre avec prix littéraire ; en effet si l’on y réfléchit bien tout livre n’est pas nécessairement littéraire. (Voir Prix littéraires)

Prix littéraires :

Ont lieu en automne pour récompenser les livres parus en automne parce que c’est la saison où les livres sont bons parce que ce sont des romans. Ne pas se demander pourquoi la poésie n’est pas concernée, ça donne l’air idiot. Il y a quatre prix littéraires. Ou peut-être cinq. « Les prix littéraires font vendre. » (Pierre Assouline)


mercredi 2 novembre 2016

Mort

Mort :
Autre sorte d’argument de vente. Plus efficace quand elle est violente. Passage nécessaire vers la postérité (voir Postérité). Attention : ne pas accéder à la postérité ne garantit pas pour autant l’immortalité.

samedi 29 octobre 2016

Je l'ai mise à la poste ce matin.

De : heloise_roux@hotmail.com
A :contact@lapouponniere,com


Madame,

Je vous ai récemment acheté la petite Éléonore et suis au regret de devoir vous la renvoyer. Je me faisais une joie de l'accueillir mais me vois dans l'obligation, après ces premières semaines de vie commune, de tirer un trait sur les espoirs que j'avais fondés dans son adoption. Oh ! Je n'ai rien à vous reprocher bien sûr, si ce n'est ce surcroît de vie que vous êtes parvenue à lui donner, et qui n'appartient qu'à elle. Je ne dors plus tant ses cris m'obsèdent chaque nuit sans qu'il soit possible d'y mettre fin. Ce ne sont pas des cris à proprement parler, je crois que je pourrais m'en accommoder, mais de déchirantes plaintes, des gémissements continuels entrecoupés de crachotements qui traversent les murs et résonnent jusque dans les canalisations. C'est comme une enfant souffrant d'une agonie qui n'en finirait pas, tout contre moi, et qui me hante jusqu'au matin. Je ne sais ce qu'elle réclame, mais elle a mal, c'est certain, et l'impossibilité où je me trouve de la soulager de ce qui la tenaille m'est devenue une épreuve inhumaine. J'ai bien tenté de la prendre au lit avec moi pour la calmer, mais aux plaintes s'ajoutent ses regards suppliants qui percent l'obscurité pour me persécuter. Je lui donne mon doigt à sucer mais elle le repousse obstinément de sa langue pour s'en libérer la bouche et gémir de plus belle. Je vous prie de me croire : je vais devenir folle si ça continue. C'est un supplice. Je ne la supporte plus et ne pense qu'à l'étouffer ou la noyer. Ces pulsions me font horreur, alors je préfère vous la rendre avant de commettre l'irréparable. Je l'ai mise à la poste ce matin.

Héloïse Roux

Romain Verger, Ravives, « Reborn », éditions de l'Ogre, 2016, p. 58-59.


Ravive est en réalité le tout nouveau recueil de nouvelles de Romain Verger et non comme j'ai pu le croire un instant l'attestation officielle de ma propre démence.